L’ouvrage de Francis Meslet est un témoignage sans pareil de ces lieux. Il propose des images rares et émouvantes de notre histoire, de nos croyances, de nos espoirs, de nos peurs. C’est une invitation à la rêverie. Chaque photographie n’est pas simplement une image dérobée au temps, c’est pour chacune d’entre elles un véritable livre dont nous possédons au fond de nous les représentations enfouies. Il nous appartient d’en tourner les pages en nous laissant guider par notre imagination pour un voyage à travers les siècles. Alors se feront voir la poésie et la simplissime beauté des lieux tirés de leur grand sommeil.
Combien sont-elles, ces églises et ces chapelles endormies sous la poussière du temps ? Elles ne reçoivent plus comme visiteurs que de rares curieux égarés là et qui, écarquillant leurs yeux, découvrent ce qui fut pourtant bien vivant voici des années. Abandon ? Oubli ? Ingratitude ? Seraient-elles tombées dans le domaine vulgaire du consommable, du jetable ? Tout comme les friches industrielles, elles témoignent d’un temps pas si lointain qui forgea notre monde actuel. Elles étaient animées par des hommes et des femmes semblables à nous. On y entendait le murmure des prières, la joie des chants religieux. Grandes ou petites elles abritaient les hommes réunis dans une Foi toute simple. Pour ces fidèles, leur abri semblait immuable, indestructible, et leurs enfants et petits-enfants, comme eux, viendraient s’y recueillir. La pratique religieuse paraissait naturelle et durerait tant que les hommes fouleraient le sol de la terre.
Hélas, tout n’est que poussière et tout redeviendra poussière : c’est un des enseignements du christianisme. L’aurions-nous oublié ? Les voici, ces églises, ces chapelles, ces prieurés, ces oratoires, endormis dans les plis des jours, des années qui s’ajoutent les unes aux autres. Le temps fait son ouvrage, impassible, insensible, indifférent. Le vent et la pluie rongent inexorablement toitures, murs et fenêtres. Les vitraux se percent et les éléments poursuivent leur travail d’ensevelissement. Ce sont d’abord des feuilles mortes, des lichens, des mousses et des herbes qui s’installent, puis les rongeurs et les insectes viennent y trouver refuge. Peu à peu la poussière s’accumule, et les toiles d’araignées plantent le décor de l’oubli. Ces bâtisses font souvent piètre figure, comparées aux cathédrales et aux grandes basiliques, mais elles méritent bien plus qu’un simple regard désabusé. Quand on pénètre en ces lieux, de curieux sentiments s’entremêlent. La nostalgie, l’effroi, la tristesse se fondent avec les souvenirs et parfois les regrets.
Vous qui entrez ici, ne perdez pas toute espérance, car ces églises méritent bien plus qu’un regard nostalgique et blasé. Il ne faut pas se contenter de les voir, il faut les observer, s’en imprégner pour qu’elles nous livrent leurs Secrets. Percer l’apparence pour y découvrir leur histoire, y retrouver leur vocation première et ainsi leur rendre vie en nos esprits et nos coeurs. Alors se dévoilent leur splendeur ou leur simplicité, leurs trésors enfouis. Ce ne sont pas des ruines, mais des reliques. On peut y percevoir les cierges allumés, la respiration des fidèles.​​​​​​​​​​​​​​
On revoit leurs bâtisseurs, on entend les coups de maillet, le verbe haut des maçons, les sculpteurs, les imagiers, les bronziers, les vitriers, tous ceux qui ornèrent ces édifices revivent l’espace d’un instant. Les statues figées dans l’attente n’espèrent que nos pas vers elles, et qu’une main inconnue dépose quelques fleurs des champs à leurs pieds.
Les gravats qui jonchent le sol, les meubles éventrés, les murs aux couleurs passées nous invitent à la méditation et à l’humilité. Ces lieux sont à l’image de nos faiblesses. L’ingratitude et l’inconséquence sont bien souvent notre lot commun. Ils nous en renvoient les reflets. Mais ils font plus : ils nous ouvrent les portes du temps et de l’infini, ils témoignent de notre aptitude au dépassement. C’est là leur plus grande gloire, à eux qui sont maintenant négligés. Les églises et chapelles délaissées poursuivent la destinée à laquelle leurs constructeurs les avaient promises : être le vaisseau des âmes et quand bien même leurs dernières pierres seraient enfouies sous l’humus, elles demeureront à jamais ce qu’elles furent vraiment.
Ce sont des lieux d’humilité et de foi, édifiés par des hommes pour les hommes. Notre siècle s’en moque. Les plus chanceuses de ces églises retrouvent parfois leur vocation première, mais si peu nombreuses. D’autres sont transformées en commerce, en salles d’activité et le reste est promis à la pioche, sans considération pour leur histoire ou leur valeur architecturale. Tant de ces églises furent construites, détruites, restaurées, et ce dans toute l’Europe, qu’il paraît impossible de les sauver toutes. Nulle ne semble épargnée, toutes sont atteintes de la lèpre qui a gagné notre siècle. Tous les styles, toutes les époques sont touchés. La désaffection des lieux de culte ne fait qu’étendre les ombres de l’oubli. C’est là leur grande misère, et celle de notre temps. 
Christian Montesinos

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